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Le fameux discours sur la télévision d’ Edward R. Murrow, en français.

Bonne nuit, et bonne chance.

vendredi 6 octobre 2006, par Julien Debenat

Le film "good night, and good luck" de Georges Clooney, s’ouvre et s’achève sur le discours du célèbre journaliste américain Edward R. Murrow devant la broadcasters’ trade-association convention en 1956. Le présentateur vedette de CBS emploie tout son talent à promouvoir une information qui enseigne plutôt qu’elle ne divertit. Cinquante ans plus tard, nous vous en proposons une version française, traduite par nos soins.

"Peut-être que ça n’apportera rien de bien à personne. À la fin de ce discours quelques-uns m’accuseront de saccager mon propre nid douillet, et votre organisation pourrait être accusée d’avoir offert l’hospitalité à des idées hérétiques voire même dangereuses... Mais la structure si élaborée des réseaux des agences de publicité et des sponsors n’en sera ni bouleversée ni altérée.

C’est mon souhait, sinon mon devoir, d’essayer de vous parler, à vous les journaliers, et avec quelque candeur, de ce qui arrive à la radio et la télévision. Et si mes propos sont en quelque façon responsables, moi seul suis responsable de les tenir.

Notre histoire sera ce que nous en faisons. Et si à des années lointaines de l’ici et maintenant, il se trouve qu’il y ait encore des historiens, puissent les enregistrements d’une semaine de trois de nos réseaux être préservés pour eux. Ils trouveront là, mis en mémoire en noir et blanc, et en couleur, une preuve de décadence, et le signe d’une fuite et d’un isolement des réalités du monde dans lequel nous vivons.

Nous sommes en moyenne opulents, gras, confortables et complaisants. Nous développons une allergie innée pour les informations désagréables ou dérangeantes. Nos médias de masse reflètent cet état de fait. Mais si nous ne soulevons pas notre surplus pondéral et si nous ne nous rendons pas compte que la télévision est en train d’être utilisée essentiellement pour nous distraire, nous illusionner, nous amuser, nous désolidariser, alors, ceux qui la financent, ceux qui la regardent, et ceux qui la font, pourraient chacun y voir, mais trop tard, une image tout à fait différente.

L’image de marque des sponsors des trois réseaux principaux en serait-elle endommagée ? Les actionnaires se lèveraient-ils pour crier leur courroux et faire entendre leurs plaintes ? Est-ce que quelque chose d’autre se passerait, hormis le fait que quelques millions de gens recevraient une petite illumination à propos de certaines affaires qui pourraient déterminer l’avenir de ce pays, et par conséquent celui de ses compagnies.

À ceux qui disent « les gens ne regarderaient pas, ça ne les intéresse pas... ». « ...Ils sont trop complaisants, indifférents et insensibles », je ne peux que répondre : il y a aux yeux d’au moins un journaliste une preuve considérable à l’encontre de ces assertions. Mais même si elles se révèlent exactes, qu’est-ce qu’ils ont à perdre ? En effet s’ils ont raison, et si cet instrument n’est bon à rien d’autre qu’à distraire, amuser et désensibiliser, alors le tube est déjà défaillant et l’on s’apercevra bien assez tôt que tout le combat est perdu.

Mais cet instrument peut enseigner. Il peut illuminer, il peut même inspirer. Cependant il ne peut le faire que dans la mesure où les humains sont décidés à l’utiliser pour servir de tels buts. Dans le cas contraire, il n’est rien qu’une boîte remplie de fils électriques et de luminaires.

Bonne nuit, et bonne chance."

Messages

  • "Mais même si elles s’avèrent vraies, qu’est-ce qu’ils ont à perdre ? " (avant-dernier paragraphe). Il vaut mieux s’abstenir d’utiliser "avérer" dans un texte en bon français. Ou bien on dit "s’avérer vrai" et on se répète (si on dit "s’avérer faux" on se contredit) ; ou bien on dit "s’avérer" et plus personne ne comprend que ça signifie "se prouver vrai", "se démontrer vrai".

    • Merci,
      j’ai corrigé cette faute de plus en plus courante, qui révèle une méconnaissance ou un détachement de l’étymologie la plus basique. "avérer" a en effet la même racine que "vérité", "vraie", véritable" (du latin "vérus", vrai). L’usage courant avère pourtant ce mésusage, ce qui est peut-être un signe des temps : vrai et faux sont-ils des masques trompeurs qui se transforment l’un l’autre ? Qu’en pensez-vous ?