Action Francophone Internationale (AFI)

Accueil > Actualité > Editos de Julien Debenat > Edito : L’art de réunir les êtres est dans le savoir s’éclipser.

Edito : L’art de réunir les êtres est dans le savoir s’éclipser.

L’équipe de France de football est depuis 1998 le reflet d’une France francophone. C’est intéressant de remarquer l’étrange profondeur symbolique des épreuves que traverse cette équipe de football professionnel, qui cherche aujourd’hui à sauver l’honneur du maillot bleu, et fait même beaucoup plus contre toute attente, après avoir séduit tout un pays en 1998.

samedi 1er juillet 2006, par Julien Debenat

L’entraîneur Aimé Jacquet, après 1998, a écrit dans son livre-interview "Ma vie pour une étoile", à propos de la foule en liesse que traversait le bus des bleus : « Quel plaisir de voir ces gens venus de toutes parts dans le seul but de témoigner leur joie, avec écharpes et banderoles ! Une foule multicolore, multiraciale, à l’image de notre équipe de France d’aujourd’hui, une foule où se mêlent dans une même ferveur, sans arrière-pensées, des gens de tous milieux, de toutes origines, de toutes croyances qui, hier encore, s’ignoraient peut-être, quand ils ne se regardaient pas en chiens de faïence ». Quatre ans plus tard, en 2002, c’était l’énorme déception. C’est ainsi, dit-on, la roue tourne. Hier vous étiez utiles, adulés, vivants, aujourd’hui, bonsoir, vous n’êtes plus rien, circulez... Et pourtant les bleus sont de retour !

"Héros avant-hier, moins-que-rien hier, aujourd’hui pas grand-chose, demain que serai-je ..." Tout être humain à un moment donné de sa vie s’est dit quelque chose comme ça, dans un ordre ou dans un autre. Comme un footballeur en quête de gloire passée. Comme un sans-papier dont les ancêtres ont combattus sous les drapeaux du pays qui aujourd’hui le rejette. Comme un créateur qui laisse à la postérité le soin d’apprécier son travail.

Allez les Bleus de toutes les couleurs.

Les critiques envers le football ne sont pas difficiles à trouver, et sont légitimes : le foot, magouille et compagnie, l’arbitrage parfois douteux, la Fifa qui vend l’exclusivité des droits pour des sommes exorbitantes, privant ainsi certains pays d’accès aux matches. Comme on a pu le relever sur un forum internet : « tu es pauvre, tu ne peux même plus rêver en regardant du foot à la télé...
je rappelle que dans coupe du monde , y a le mot monde... :
 »

Malgré ces injustices, qui traduisent une fois de plus une évidente hypocrisie des riches gouvernants-commerçants envers les peuples du Sud, le foot fait rêver. En commun. Donne des émotions qui ne sont pas seulement du baume au cœur et de la poudre aux yeux. Des émotions qui font écho à des vérités héroïques qui nous travaillent les tripes en profondeur, tous.

Beaucoup de francophones ressentent les difficultés éprouvées par Zinédine Zidane et ses compagnons, qui se trouvent à un périlleux moment de passage de flambeau d’une génération de héros à une autre. Laisser la place à la relève, dans l’harmonie plutôt que la discorde, demande de trouver un instant d’équilibre entre l’ancien et le nouveau. Entre ce qui vient et ce qui s’en va. j’entends dire que certains français trouvent que leur équipe de France est un petit peu trop foncée de couleur. Si cela est vrai, signalons-leur que le jeune et prometteur Franck Ribery, blanc de peau et nordiste d’origine, est converti à l’Islam. Le brassage des cultures est aujourd’hui tel que les derniers des racistes doivent se faire un sang d’encre pour savoir à quelle couleur se vouer... et c’est tant mieux. Allez les bleus de toutes les couleurs.

Paix à leurs âmes, à tous.

Plus tristement, la francophonie a perdu de grands auteurs ce mois de juin : Raymond Devos, Joseph Zorbel (écrivain martiniquais, auteur du roman Rue cases-nègres), Jacques Lanzmann (écrivain et voyageur, parolier de la chanson "Il est 5 heures, Paris s’éveille"). Certains d’entre nous ont souhaité rendre hommage à quelques uns de ces travailleurs du verbe. Ainsi vous pouvez consulter un article de Yann Supion comportant un sketch de Raymond Devos, Le troubadour d’origine belge. Nous aimerions aussi mentionner le décès d’un auteur à peu près inconnu, l’écrivain Jean-Charles Pichon, décédé à l’âge de 85 ans le 20 juin. Romancier puis historien des religions et des civilisations, cet érudit, auteur d’une soixantaine de livres, fera l’objet plus tard d’un article dans le site de l’AFI, afin de présenter son oeuvre. Le silence médiatique concernant sa disparition ne doit pas étonner outre-mesure, ni susciter une indignation puérile, mais il convient tout de même de poser quelques questions : un homme qui a écrit une soixantaine de livres, romans et essais confondus, c’est peut-être qu’il avait quelque chose à dire ? Vous pouvez consulter le site consacré à cet écrivain en cliquant ici : Jean-Charles Pichon. Et puisque nous évoquons le problème d’une presse libre et ouverte, c’est le moment de vous informer que le site de l’AFI se fait le relai d’une pétition de défense et de sauvetage de l’émission "Là-bas si j’y suis", de Daniel Mermet sur France-Inter.

Ce mois-ci quelqu’un a souhaité rendre hommage au célèbre Coluche, mais en diffusant un texte méconnu. Coluche a disparu il y a vingt ans. Peu avant sa mort il s’était exprimé lors d’une conférence, sur la notion de pouvoir. On apprend dans ce texte que Coluche avait une idée pour endiguer le chômage, une idée, d’après lui, de l’envergure des Restaurants du Cœur. Si des personnes en savent plus sur son projet, nous sommes preneurs, car Coluche n’a simplement pas vécu assez longtemps pour le dévoiler ou le mettre en œuvre. Si vous souhaitez lire quelques extraits de cette conférence de Coluche, cliquez sur le lien. Pour continuer la liste des immigrés ou fils d’immigré qui font la grandeur de la France (l’équipe de France, Devos, Coluche, ça fait déjà beaucoup), mentionnons l’article de Jacqueline Gétain consacré à l’histoire de l’affiche rouge et de Michel Manoukian, arménien et résistant, fusillé le 21 février 1944 avec 21 autres résistants étrangers. Ce sont des pages de l’histoire de France qui ne pèsent pas lourds dans les manuels scolaires. Paix à leur âme, à tous.

Qui veut se mettre à la place d’un expulsé ?

A propos de manuel scolaire, c’est les vacances, mais pour certains étrangers c’est surtout la fin du sursis d’expulsion accordé aux enfants sans papiers et à leurs parents. Les cartons rouges vont pleuvoir !!! Nous soumettons ici à votre conscience la pétition lancée par le réseau « Education sans frontières ». Je pense personnellement qu’il est nécessaire d’enrayer les processus d’expulsion de sans -papier, et d’obliger le gouvernement français à remettre en cause sa politique d’immigration. Il me semble honteux de continuer à vouloir bâtir une Europe-forteresse, avec à ses frontières des polices de refoulement et en son sein des polices de traque à l’immigré-hors-la-loi. Cette situation n’est plus tenable... La seule solution c’est une aide sincère et véritable au développement, quitte à diminuer le train de vie des européens. Faut-il rappeler que les inégalités Nord-Sud ne sont pas le fait d’une supériorité naturelle, mais bien d’une domination qui s’appuie sur des siècles d’Histoire. Comment oser parler de justice, de liberté, d’égalité en continuant à vivre sur cet héritage ? Citons cette phrase écrite il y a 51 ans par Aimé Césaire dans son discours sur le colonialisme, que vous pouvez lire avec une présentation de Xavier Garnier dans la nouvelle rubrique de l’AFI : la bibliothèque de l’AFI. « une civilisation qui ruse avec ses principes est une civilisation moribonde ». Pour ceux qui souhaitent faire un effort dans le sens de l’empathie, nous ne pouvons que conseiller la lecture du poème de Senghor "Chaka", poème mis en ligne par Eric Paye au début du mois, et qui met en scène les tension intérieures, de haine et de ressentiment, qui animent les guerriers africains vis-à-vis des colonisateurs.

Mais puisque c’est la coupe du monde, et puisque la parole est aux poètes, terminons sur cet extrait du sketch de Raymond Devos :

“Où courent-ils ?
Excusez-moi, je suis un peu essoufflé ! Je viens de traverser une ville où tout le monde courait. Je ne peux pas vous dire laquelle... je l’ai traversée en courant ! Lorsque j’y suis entré, je marchais normalement, mais quand j’ai vu que tout le monde courait, je me suis mis à courir comme tout le monde sans raison ! À un moment, je courais au coude à coude avec un monsieur...
Je lui dis :
- Dites-moi...pourquoi tous ces gens-là courent-ils comme des fous ?
- Parce qu’ils le sont ! Vous êtes dans une ville de fous ici... vous n’êtes pas au courant ?
- Si, Si, des bruits ont couru !
- Ils courent toujours !
- Qu’est-ce qui fait courir tous ces fous ?
- Tout ! tout ! Il y en a qui courent au plus pressé. D’autres qui courent après les honneurs... Celui-ci court pour la gloire... Celui-là court à sa perte !
- Mais pourquoi courent-ils si vite ?
- Pour gagner du temps ! Comme le temps, c’est de l’argent, plus ils courent vite, plus ils en gagnent !
- Mais où courent-ils ?
- À la banque ! Le temps de déposer l’argent qu’ils ont gagné sur un compte courant... et ils repartent toujours courant, en gagner d’autre !
- Et le reste du temps ?
- Ils courent faire leurs courses...au marché !”