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La voie du Sasquatch

mardi 17 juillet 2007, par Julien Debenat

Que le mystère soit entier...

Jean-Paul Debenat, Sasquatch et le mystère de l’homme sauvage.

Le Sasquatch, alias Bigfoot, Homme des Bois, ou Homme-singe, ou encore Homme sauvage velu, c’est le frère du Yeti, et il est bien connu des amérindiens. Ce livre est ni plus ni moins la restitution d’un travail de dix années de collecte d’histoires, de témoignages et de récits de légende, sur le mystère de l’homme sauvage, ce Néanderthal qui ne disparaît pas...
Jean-paul Debenat marche dans les pas de Bernard Heuvelmans (1916-2001), spécialiste des animaux mythiques. Celui-ci fût à l’origine de la cryptozoologie, la science des animaux cachés, en publiant en 1955 "Sur la Piste des Bêtes ignorées". C’est notamment à partir de ses travaux sur l’Homme des Neiges, que Hergé dessina son Yeti.

Jean-Paul Debenat, Sasquatch et le mystère de l’homme sauvage.
Editions Le Temps Présent, collection Champ-limite. ISBN : 2-35185-009-2. Prix libraire : 21,00 €

Extrait :

Rencontres à Neah Bay et autres lieux.

Nous allons effectuer un bond d’environ 350 kilomètres à vol d’oiseau afin de nous diriger vers le nord-ouest, à l’extrême pointe de la Péninsule Olympique.
La côte, battue par les vents et les vagues, déroule des plages sans fin, parsemées de troncs d’arbres. Le sol s’écroule sous les coups de boutoir de l’Océan Pacifique, laissant à nu les racines des conifères érodés dont les troncs, silhouettes grises, fantomatiques, s’abattront un jour dans les flots.

En regardant vers l’est, on verra les cargos qui empruntent le détroit de Juan de Fuca pour rejoindre Portland dans l’Oregon, ou la Californie. En face, à quelques trente cinq kilomètres, s’étend l’imposante île de Victoria. Cette dernière, située face à Vancouver, appartient au Canada. Peut-être apercevra-t-on dans l’eau glaciale un géant de la mer : l’orque, qui parfois s’attaque aux baleines.

Nous sommes à la pointe extrême de l ’Amérique continentale mais afin d’admirer l’Océan Pacifique dans toute sa puissance, il faut pénétrer dans la réserve des Indiens Makah, laisser sa voiture au bout d’une route en cul-de-sac, puis traverser la forêt dense sur plusieurs kilomètres.

Au début des années soixante, un jeune militaire de l’Armée de l’Air, habitant la réserve avec son épouse amérindienne, entretint une correspondance épistolaire avec Ivan T. Sanderson. Il raconta, entre autres, qu’il avait vu des empreintes de pieds sur une plage d’accès difficile, protégée par une épaisse végétation forestière. Ces empreintes atteignaient quarante cinq centimètres de long.
Un été, un des pêcheurs de la réserve avait été réveillé par les éclaboussures projetées par une créature qui s’ébrouait dans le marais jouxtant le jardin.
Muni d’une lampe-torche, il aperçut un être de très grande taille qui s’enfonçait dans la forêt. Le jeune militaire, armé d’un fusil, inspecta de jour les abords de ce marais et récolta de grosses touffes de poils que les broussailles avaient arrachées :
« J’ai chassé et tué un certain nombre d’ours dans la région mais ces poils ne peuvent appartenir à l’un d’entre eux, ne serait-ce que pour une simple raison : ils mesuraient jusqu’à trente cinq centimètres de long et leur odeur puissante ne ressemblait en rien à celle des ours que j’ai tués ».

Le jeune homme repartit à la chasse à l’ours, marchant un soir sur une piste forestière abandonnée. Il venait de parcourir une vingtaine de kilomètres et il savait qu’il n’y avait aucun habitant dans un rayon de trente cinq kilomètres. Il s’installa sur une souche d’arbre pour se reposer. Au bout d’un moment, un cri aigu comme la plainte d’un bébé s’éleva et se prolongea pendant presque une heure. Le chasseur écouta à loisir ce cri étrange et après mûre réflexion décida qu’on ne pouvait vraiment pas l’attribuer à un cougar. Le cri s’arrêta brusquement et le jeune homme, sans s’attarder, reprit le sentier du retour.
Il retourna sur les lieux à plusieurs reprises, mais sans rien remarquer.

Le 21 octobre 1972, quatre hommes réalisèrent un enregistrement de vocalisations non-identifiées dans le Nord de la Californie.
Cachés dans une hutte de rondins et de branchages, ils étaient allongés sur les sacs de couchage. La lune, filtrée par les arbres de la forêt, éclairait les plaques de neige. En contrebas, le torrent fournissait un bruit de fond constant. Les caméras étaient à portée de main et le magnétophone prêt à servir, avec ses deux microphones : l’un placé dans la hutte, l’autre accroché dans un arbre à environ trente mètres. Ce dernier capta une longue séquence sonore pendant une heure. J’ai écouté une copie de cet enregistrement que Peter Byrne me fit parvenir en 1995. Des cris effrayants - qui ressemblaient, à mon avis, à ceux de chiens monstrueux, au premier abord - s’imprimèrent sur la bande magnétique. Après plusieurs écoutes, j’ai imaginé que les animaux pouvaient être des singes. J’en ai conclu à une querelle entre deux babouins, lèvres retroussées, agressifs, mais sans véritable intention de se battre. Deux bêtes qui se jaugent, se provoquent ou encore deux mâles se disputant un territoire, l’un tentant d’effrayer l’autre par ses avertissements bruyants.
Les quatre hommes estimèrent que les protagonistes se trouvaient à cent cinquante pieds (50 mètres) du micro extérieur. Les cris semblent très proches pourtant.

Une deuxième séquence comporte une manière de dialogue. L’un des hommes sortit et lança des appels :
« Viens ! Approche ! On ne te fera pas de mal ! ».
Un être répond par des grognements / aboiements et semble se prendre au jeu. Les auteurs de l’enregistrement prétendent qu’un canular est toujours envisageable. Mais le truquage leur paraît difficile à expliquer : pour obtenir un tel effet sonore, et surtout une telle intensité, compte tenu de la source éloignée des sons, un système d’amplification perfectionné et volumineux serait nécessaire ; en outre, la présence discrète et prolongée d’un opérateur - ou de plusieurs - aurait été indispensable. A moins de connaître la date de l’expédition des quatre chercheurs, qui oserait se terrer dans les montagnes enneigées, dans l’attente d’une visite d’explorateurs crédules ? Une fois encore, l’hypothèse de la plaisanterie ne résiste guère aux conditions du lieu : altitude, climat, isolement, terrain peu propice au transport des équipements.
Néanmoins le truquage demeure aisé en soi pour un preneur de son habile et familier du monde animal.

Si l’on se place sous le signe de l’imposture, alors il faut admettre que dans ces montagnes les imposteurs sont légion.

« C’était la nuit de Halloween en 1970. J’avais vingt-trois ans et je campais près du Mont Saint Helens. Je n’arrivais pas à m’endormir et c’est à ce moment-là que les cris s’élevèrent » .
Halloween : la nuit où l’on révérait le Grand Tout ; en tout cas elle précède le 31 octobre, la fête de la Toussaint. Les esprits des défunts inspirent les enfants qui, le soir, se déguisent en sorcières, en vampires. Ils sonnent aux portes des foyers qui amadouent ces fantômes en leur offrant bonbons et gâteaux. Sur le rebord des fenêtres, une citrouille évidée, édentée, crâne vide, diffuse la lumière orangée d’une bougie et protège ainsi les maisons des influences malignes.
En cette nuit d’octobre 1970, Robert Pyle se trouvait loin de tout carnaval enfantin. Après une marche sur les pentes enneigées du mont Loo Wit, il venait, avec son épouse, de se glisser dans son sac de couchage, au bord du lac Spirit. Etudiant en Sciences Naturelles - il devait par la suite obtenir un doctorat en Ecologie à l’Université de Yale - il connaissait les oiseaux et les mammifères et avait écouté leurs chants et leurs cris.

« Tout d’abord, les appels ressemblaient à des aboiements aigus, mais sans rapport avec ceux d’un chien. Puis leur rythme s’emballa, ils grandirent en volume et leur tonalité de plus en plus aiguë les apparentait à des sifflements » .
Robert passa en revue, mentalement, la liste des espèces susceptibles de se livrer à ce « concert torturé » : élan, coyote, renard roux, chat sauvage, puma, chouette. En vain. Pour finir, l’extraordinaire récital se transforma en sorte de cris de nouveau-né.
L’épouse de Robert dormait mais Robert était éveillé. Il était à jeun et il écoutait. Peu avant l’aube les cris s’éteignirent et le sommeil le gagna.

Quand il rouvrit les yeux, tout n’était que neige et silence :
« Le lac Spirit offrait une surface lustrée dans le matin clair, et le Mont Saint Helens, l’image, presque banale, d’une montagne glorieuse aux ombres glacées, découpées
par les rayons obliques du soleil ».
Robert s’appliqua à déchiffrer un langage immémorial, semblable aux runes anciennes, celui des traces inscrites par de petites créatures, geais, rongeurs et lièvres divers.
Mais la neige ne lui livra nullement la signature éclatante d’un quelconque géant. L’hypothèse d’un imposteur, caché à distance respectable du campement, n’effleura à aucun moment l’esprit de Robert. Au réveil, les échos du concert mystérieux résonnaient encore à ses oreilles.

Qui douterait qu’une fois les moteurs - des véhicules tout-terrain, des chenillettes des neiges - éteints, la montagne et la forêt retrouvent leur climat sonore habituel ; climat défini par l’absence de sons, absorbés par la neige répandue sur le sol et sur les branches.
Et qui douterait qu’au sein de cet écrin acoustique, cette blancheur silencieuse, une mélodie inhabituelle s’imprimât rigoureusement dans la mémoire auditive d’un familier de la nature ?

Ainsi les échos des vocalisations du Sasquatch résonnent parfois dans les forêts qui bordent le Pacifique et dans les montagnes qui s’élèvent, parallèles à la côte, de la Colombie Britannique à l’Oregon.
Certains hommes les ont entendus et même, semble-t-il, enregistrés.
A Elma, dans le Comté de Grays Harbor, état de Washington, on m’a invité à écouter les récits des témoins oculaires - nous en reparlerons - et à cette occasion, on a diffusé une cassette d’un enregistrement effectué par des Indiens dans le Comté de Puyalup.
Au début on entend des sortes d’aboiements, ceux d’un canidé ou les cris de colère d’un singe. Ils se transforment rapidement en longs hululements, provenant d’une bouche qui s’arrondit, la langue s’infléchissant vers le palais afin de produire des modulations régulières. Ces hululements s’enchaînent sans interruption comme si l’être ne reprenait jamais son souffle ; à moins que plusieurs êtres ne reprennent à tour de rôle la mélopée dont la source semble lointaine, s’élançant dans la vallée, avec une puissance remarquable. L’auditeur éprouve une impression d’étrangeté et d’inquiétude lorsqu’il imagine la scène : il se voit seul, cheminant le long de la rivière ou du chemin forestier, soudain figé sur place en entendant des cris vraisemblablement inhumains. A cet instant, le visiteur de la forêt se sent vulnérable car de toute manière il n’est plus seul. Le voici confronté à une autre présence, mais laquelle ?

On pourrait multiplier les anecdotes et remplir des dizaines de pages sans pour autant ébaucher une réponse. Il suffirait pour cela de poursuivre la compilation des innombrables articles de journaux, des bulletins des sociétés qui se consacrent à la recherche des créatures cryptiques, de dépouiller les ouvrages ou les émissions de télévision destinés au grand public.
Mais ce qui importe, c’est l’esquisse d’une présence que suggèrent ces témoignages choisis en insistant sur les incidents qui se déroulèrent entre les années 1960 et 1975.

Pour l’instant, il est hors de question d’en tirer des conclusions prématurées. Tout au plus en déduirait-on que les événements évoqués, réels ou imaginaires, ont d’une façon ou d’une autre, été vécus.
Pourtant, cette prise de contact, banale mais nécessaire, avec le « phénomène Sasquatch », a permis au lecteur de faire connaissance avec quelques-uns des acteurs qui s’emploient à élucider le mystère : Peter Byrne, René Dahinden, John Green, Grover Krantz...
Et également de pressentir l’immensité du décor où se déroule l’action : le Pacifique Nord-Ouest, de la Colombie Britannique au nord de la Californie.

Pages 65-70.

Sur le film (controversé) de Patterson (1967), consultez http://www.bigfootencounters.com/articles/gps.htm